Culture et vin

Les vins de Savoie, entre traditions vivantes et défis d’avenir 

Louis Trosset, ancien professeur en biologie végétale à l’Université Savoie Mont Blanc et artisan vigneron indépendant, partage son regard affûté sur l'évolution du vignoble savoyard. Entre ancrage territorial fort, biodiversité ampélographique remarquable et enjeux environnementaux pressants, il dresse un bilan lucide et passionné sur les vins de Savoie, leurs singularités et les perspectives d'une filière en pleine mutation.

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Laurent Madelon

Un vignoble de montagne unique au monde 

« Des vins qui montent… ! » Le slogan de la fédération Savoie-Bugey résume bien la dynamique portée par les 375 adhérents — négociants, caves coopératives et vignerons indépendants — qui cultivent aujourd’hui environ 2000 hectares de vignes. Une surface relativement stable, malgré un contexte de production exigeant : terrains pentus, mécanisation limitée, pression foncière liée à l’urbanisation et vieillissement des professionnels. 

La production annuelle oscille autour de 110 000 hectolitres, avec une exception notable en 2021, année du gel généralisé, où seulement 80 000 hectolitres ont été récoltés. Ce vignoble se distingue surtout par la richesse de son patrimoine ampélographique : il compte l’une des plus grandes diversités de cépages rapportée à la surface cultivée.

Face aux enjeux climatiques, certains cépages oubliés — douce noire, verdesse, saint-marie, velteliner, malvoisie, joubertin ou encore cacaboué — suscitent un regain d’intérêt. Portés par la jeune génération de vignerons, ils pourraient constituer une réponse à la pression des maladies comme le mildiou, l’oïdium ou le black rot, et à la prolifération de nouveaux insectes nuisibles (cicadelles, scarabée japonais, drosophile suzukii…). 

Dans cette démarche, la Combe de Savoie joue un rôle essentiel : deuxième région française de production de plants de vigne après le Vaucluse, elle peut compter sur l’agilité de ses pépiniéristes. Le centre d’ampélographie alpine Pierre Gallet, installé à Montmélian, participe également à cette dynamique de renouveau. Depuis 2007, il mène un travail d’archéologie viticole précieux, permettant d’identifier, tester et caractériser génétiquement d’anciens cépages. 

Un marché soutenu par la neige... et par le tourisme vert

Les vins de Savoie connaissent une saisonnalité de vente marquée : 65 % de la production est écoulée entre décembre et avril. Cette dynamique hivernale, étroitement liée à l’activité touristique en station, fait envie à bien d’autres régions viticoles. Aujourd’hui, les professionnels cherchent à prolonger cette courbe de consommation en misant sur le tourisme vert et la valorisation estivale du territoire. 

À l’export, les vins savoyards progressent lentement mais sûrement. États-Unis, Japon, Canada, Belgique et Pays-Bas s’affirment comme marchés porteurs, représentant environ 7 % des ventes. 

En matière de transition écologique, le vignoble savoyard affiche encore un retard à combler. Seuls 20 % des surfaces sont certifiées bio, un chiffre bien en dessous de la moyenne nationale. La cause ? Un coût de production plus élevé, mais aussi l’usage encore répandu du cuivre — un métal lourd non biodégradable — qui pose de sérieux problèmes de saturation des sols et de pollution des nappes phréatiques. 

Crise viticole : un avenir incertain

« Laissons parler la terre ». Ce leitmotiv, hérité de générations de vignerons et inscrit sur certaines caves en Occitanie, résonne aujourd’hui plus fort que jamais. Le sol est l’élément clé d’un vin de qualité, mais il est en danger. Entre herbicides, pesticides, tassements, intrants indésirables… Le support vivant devient inerte. 

La filière viticole traverse une crise profonde. Les aléas climatiques se multiplient, les insectes invasifs prolifèrent, la consommation chute — notamment pour les vins rouges — et les comportements changent. 

Les débats sur l’usage des phytosanitaires s’intensifient, à l’image de la proposition de recul des zones traitées autour des habitations préconisée par le collectif Pestiriv. En 2024, ce sont 36 000 hectares de vignes qui ont été arrachés en France. Un chiffre qui interroge sur la capacité du secteur à se renouveler sans se renier. 

L’œnotourisme : un levier d’avenir encore sous-exploité

Face à cette instabilité, un espoir émerge : celui de l’œnotourisme. Bien que moins développé qu’en Alsace, dans le Vaucluse ou en Ardèche, il pourrait devenir un véritable moteur de développement pour les vignerons savoyards. Le potentiel est là : paysages exceptionnels, identité culturelle forte, passion des professionnels. 

Publié le 18 sept. | Mis à jour le 25 sept.